Anxiogène, le confinement ? A n’en pas douter, à lire le quatrième rapport du groupement d’intérêt scientifique Epi-pharma sur la dispensation en ville, depuis le début de l’épidémie de coronavirus, de médicaments remboursés sur ordonnance, publié vendredi dernier par l’Assurance-maladie et l’Agence du médicament. Les spécialités de santé mentale ont été dévalisées ces six derniers mois. Dans le même temps, les ventes de nombreuses catégories de médicaments dégringolaient, signant un inquiétant recul de l’accès aux soins.
Globalement, la délivrance et l’utilisation de produits qui nécessitent une administration par un professionnel de santé ont plongé. « Cet effondrement de la consommation sur toute la période du confinement et après ne fait pas l’objet d’un rattrapage à ce jour », constate le rapport. Et ce retard « ne pourra pas être comblé en 2020 », estiment les auteurs. Pour limiter la casse, ils suggèrent de mettre en place « une programmation à moyen et long terme », « voire une adaptation de certaines indications à une offre de soins nécessairement plus réduite ».
Angoisse et tabagisme
Du 16 mars jusqu’au 13 septembre, il s’est écoulé 1,1 million d’anxiolytiques et 480.000 hypnotiques en sus des volumes attendus. Les instaurations de traitements pour de nouveaux patients ont crû de 5 % et 3 % pour ces deux classes thérapeutiques. Durant la première semaine du confinement, les Français se sont littéralement jetés sur ces médicaments, avec une hausse de 20 % de la consommation d’antidépresseurs – suivie d’une légère chute la semaine suivante. Après le déconfinement, l’usage des anxiolytiques et des hypnotiques s’est maintenu à des niveaux élevés, de façon pérenne semble-t-il.
A l’inverse, les ventes de patchs et autres substituts nicotiniques ont décroché de 30 % la deuxième semaine de confinement. Elles demeuraient inférieures de 17 % aux volumes attendus durant la première quinzaine de septembre. L’angoisse de l’enfermement, puis la crise économique et sociale qui s’installe, semblent avoir découragé les fumeurs qui étaient nombreux depuis deux ans à vouloir décrocher du tabagisme.
Retard de diagnostic pour les cancers
Par ailleurs, les auteurs pointent la forte sous-consommation de traitements « nécessitant une administration par un professionnel de santé » comme le traitement de la dégénérescence maculaire de l’oeil, les endoscopies, les scanners et IRM. La baisse de consommation s’élève à 75.000 doses pour les injections intraoculaires, 250.000 préparations pour coloscopies, 500.000 produits iodés pour scanner, 280.000 produits de contraste pour IRM.
L’accès aux médecins a en effet été réduit pendant le confinement, et les consultations ont été prises d’assaut par la suite. Cela se traduit à présent par une « chute non rattrapable » des diagnostics pour « certains cancers ou maladies graves en poussée », s’inquiètent les auteurs. Alors que les déprogrammations de soins viennent de reprendre dans les hôpitaux franciliens et dans d’autres régions, les patients risquent d’être de plus en plus nombreux à découvrir leur cancer trop tard.
Enfin, « le retard observé en termes de vaccination sera difficilement comblé en 2020 », selon le rapport. La consommation du ROR (rougeole-oreillons-rubéole) a diminué de 130.000 doses, celle du vaccin contre le papillomavirus de 150.000 doses, celle du vaccin contre le tétanos de 620.000 doses. Les vaccins polyvalents, désormais obligatoires pour le nourrisson (diphtérie-tétanos-polio-coqueluche-haemophilus-hépatiteB), ont un peu moins chuté, avec 40.000 doses en moins.
Les Français ont également beaucoup moins consommé d’anti-inflammatoires de type ibuprofène, non recommandés en cas de coronavirus. Autre bonne nouvelle, les malades chroniques, bénéficiant d’un traitement au long cours contre l’épilepsie, le diabète, l’insuffisance cardiaque, etc., ont maintenu leur consommation de médicaments. Pendant le confinement, ils ont pu renouveler leur traitement avec des ordonnances périmées, et consulter leur médecin à distance. Sans cela, le renoncement aux soins aurait probablement pris d’autres proportions.