Le Conseil national du numérique (CNNum) ne souhaite pas la création d’un nouveau statut pour les travailleurs des plates-formes numériques. Dans un rapport récent, il émet quinze recommandations pour protéger ces derniers, sans toutefois créer de régime tiers. Elaboré à la suite d’une auto-saisine et d’une enquête de terrain, le rapport s’inscrit dans la continuité des travaux initiés dans le cadre des Etats généraux des nouvelles régulations du numérique.
Une question de statuts
La Loi sur l’Orientation des Mobilités (LOM) oblige les plates-formes à renforcer les mesures de protection sociale destinées aux employés . Or, malgré la volonté affichée par les pouvoirs publics de réguler cet écosystème, la question du statut juridique des travailleurs n’est pas résolue, rappelle le CNNum. Faire basculer des centaines de milliers de micro-entrepreneurs dans le régime des salariés briserait la dynamique économique du secteur, qui a montré ses vertus en termes de flexibilité, d’autonomie et d’accès à l’emploi. A l’inverse, le statut de micro-entrepreneur apparaît parfois comme « une façon de justifier les pratiques défavorables », regrette le conseil. La crise du Covid-19 a jeté une lumière crue sur la précarité de ceux qui tirent leur principal revenu des plateformes mais ne sont pas couverts en cas de perte d’activité.
Pour y remédier, plusieurs pistes ont été étudiées, parmi lesquelles l’élaboration d’un régime intermédiaire à mi-chemin entre salarié et indépendant. Une «fausse bonne idée», prévient Jérôme Pimot, co-fondateur du Collectif des livreurs autonomes de Paris, qui a participé à la concertation : «Le risque est de prendre le pire de chacun : la subordination du salariat, la protection minimale de l’indépendant.»
Protéger les indépendants
Plutôt que de créer un statut hybride qui accentuerait une «zone grise», le CNNum propose alors deux voies complémentaires. Pour les plateformes qui dérogeraient au droit du travail, la requalification en salariat devra être décidée au rythme des décisions de justice. Quant à celles «respectueuses de nos lois et de notre modèle social», elles constituent «un visage nouveau du monde du travail» qu’il faut encourager.
Si l’on veut faire de ces travailleurs d’un nouveau genre «d’authentiques entrepreneurs», il est ainsi nécessaire de réviser les protections attachées à leur statut d’indépendant, assure le conseil. L’objectif : aligner leur niveau de protection sociale sur celui des salariés, en élargissant leurs conditions d’accès à l’assurance-chômage ou en leur garantissant un droit à la négociation collective, par exemple.
Un dialogue nécessaire
Le CNNum insiste sur le besoin accru d’un «dialogue social équilibré et transparent» entre plates-formes et travailleurs. Il préconise de mettre en place une Convention citoyenne sur le travail, inspirée de celle sur le climat, et un encadrement des plates-formes par les collectivités locales, via un système de licences. Par ailleurs, il propose d’instaurer un «Digiscore», un mécanisme de notation calqué sur le Nutriscore dans l’alimentation. Il permettrait aux clients d’accéder à des informations relatives au comportement des plates-formes, en réponse au manque de transparence qui leur est reproché. «Le Digiscore inclut un engagement éthique du consommateur, qui permet de l’informer lui-même, mais aussi le travailleur. L’idée est d’imposer aux plateformes le système de notation et de contrôle perpétuel qu’ils infligent à ce dernier », souligne le sociologue Patrick Cingolani.
Des propositions saluées par le gouvernement, qui alerte cependant sur le risque de barrières à l’entrée pour ces indépendants «qui ne trouvent pas d’emploi dans le marché traditionnel». Comme le rappelle le CNNum, une étude de la Confédération européenne des syndicats (CES) indique que 50 % des travailleurs des plateformes interrogés déclarent s’être tournés vers cette activité parce qu’ils ne parvenaient pas à trouver un autre emploi.