Six mois après l’ annonce du plan eau , l’heure est venue de sa traduction financière. Pour améliorer la gestion d’une ressource appelée à devenir de plus en plus rare dans l’Hexagone, Emmanuel Macron avait annoncé fin mars une augmentation des moyens des agences de l’eau de 475 millions d’euros par an. Le projet de loi de finances (PLF) pour 2024 , qui va être examiné par le Parlement, montre comment le gouvernement compte y parvenir.
Comme attendu, cette hausse ne passera pas par de nouveaux crédits budgétaires : elle résultera de la réforme des redevances de l’eau, qui vient d’aboutir après plusieurs années de discussions, et qui entrera en vigueur le 1er janvier 2025. Car la gestion de l’eau est décentralisée : elle est assurée par les collectivités locales, dont les investissements à long terme sont en partie financés par les agences de l’eau. Celles-ci prélèvent pour cela aujourd’hui environ 2,2 milliards d’euros par an sur les factures, grâce à diverses redevances.
Instauration d’un taux plancher
Même si ce sont les six agences de l’eau de l’Hexagone qui décident de ces redevances, leurs taux sont encadrés par l’Etat. Le PLF prévoit ainsi, d’abord, de relever le plafond des redevances perçues sur les prélèvements d’eau dans la nature, et d’instaurer pour la première fois un taux plancher. « Il s’agit de renforcer le signal prix associé à la raréfaction de l’eau », explique-t-on dans l’entourage de Christophe Béchu, le ministre de la Transition écologique.
L’objectif est de mieux répartir la facture en faisant payer des usagers jusque-là peu mis à contribution, comme le réclamaient de longue date les collectivités locales, notamment. « 80 % des redevances sont aujourd’hui perçues au titre des usages domestiques, alors que l’eau potable ne représente que 26 % de la consommation finale », rappelle Arnaud Bazire, président de la Fédération professionnelle des entreprises de l’eau (FP2E).
Concrètement, cette disposition aura pour effet de relever sensiblement les redevances payées par les énergéticiens, en particulier EDF (le refroidissement des centrales électriques représente 51 % des prélèvements) : leur facture augmentera de 100 millions d’euros (à 140 millions). Les industriels seront également mis à contribution, à hauteur de 20 millions, ainsi que les agriculteurs, au titre des prélèvements pour l’irrigation, pour 10 millions d’euros.
Autre source de nouvelles recettes, le relèvement de la redevance pour pollutions diffuses, qui pèsera, lui, sur les comptes des agriculteurs : l’augmentation atteindra 37 millions d’euros.
Pour combler l’écart entre la somme de ces hausses déjà identifiées (soit 167 millions) et les 475 millions prévus par le plan eau, « les agences de l’eau et les comités de bassins feront leurs choix, en fonction des équilibres locaux », poursuit-on dans l’entourage du ministre.
Enjeux écologiques
Face à un effort total de 47 millions d’euros pour l’agriculture, la FNSEA est déjà montée au créneau, « s’indignant » contre « une pénalisation incompréhensible ». « Les hausses de la redevance sur prélèvements sont concentrées sur deux agences, Rhône Méditerranée Corse et Adour Garonne, où les ressources en eau ne sont pas sous pression. Or, elles sont insupportables pour les arboriculteurs de Provence, par exemple, dont les marges sont très faibles », alerte Philippe Jougla, administrateur du syndicat agricole.
D’autres, comme l’association Amorce, qui représente des collectivités locales, jugent la réforme largement insuffisante. « Elle n’est absolument pas à la hauteur des enjeux écologiques liés à l’eau : inciter à la sobriété grâce à un signal prix, et limiter les pollutions ! » réagit son délégué général, Nicolas Garnier, qui juge le poids des redevances selon les usagers encore très incohérent.
Sans parler des moyens, insuffisants à ses yeux. « Plusieurs études montrent qu’il faudrait plus de 3,2 milliards supplémentaires par an dans les investissements, et entre 500 millions et 1,7 milliard pour lutter contre les pollutions », avance-t-il.
Modulation à venir
La réforme prévoit enfin d’autres changements, qui n’auront, eux, pas d’impact sur l’enveloppe globale. Les redevances perçues sur l’eau douce, notamment, seront désormais modulées en fonction des performances de chaque collectivité. « Des critères seront introduits sur la qualité de l’assainissement, la connaissance du réseau, ou encore le taux de fuites », explique-t-on dans l’entourage de Christophe Béchu.
Une disposition qu’Arnaud Bazire, de la FP2E, juge « vertueuse », mais qui pourrait faire grincer des dents chez les mauvais élèves.