Et de deux. Après celui sur la définition des rémunérations relevant de la compétence des branches , le ministère du Travail vient de se voir infliger un second camouflet par le Conseil d’Etat sur l’application de la réforme du Code du travail sur un autre sujet : celui de l’extension des accords conclus au niveau des branches.
Le sujet dépasse de loin la querelle entre experts du droit du travail. Lorsqu’un accord est conclu entre des syndicats de salariés avec une ou des organisations patronales, ses dispositions s’appliquent de droit dans toutes les entreprises adhérentes à cette ou ces organisations patronales. Spécificité française, la procédure d’extension les rend obligatoires aussi pour tous les autres employeurs régis par la même convention collective.
Faculté jusqu’à présent peu utilisée
Les ordonnances de 2017 ont réformé la procédure. S’inspirant de la réforme de la revalorisation du SMIC de 2009 , elles ont créé la possibilité pour le ministère du Travail de demander à un groupe d’experts son avis sur les « conséquences économiques et sociales susceptibles de résulter de l’extension d’un accord ». « Les objectifs sont de prendre en compte les parties non représentées au moment de la signature (entreprises non adhérentes, concurrents potentiels, clients) et d’analyser l’impact concurrentiel et la soutenabilité économique au regard de l’intérêt social de l’accord », notamment pour les plus petites entreprises, précise le bilan de la réforme du Code du travail publié en décembre 2021 sous l’égide de France Stratégie.
Jusqu’à présent, cette faculté a été peu utilisée. Entre son installation en mars 2018 et décembre 2021, selon le même bilan, le groupe d’experts a rendu quatre avis (dont un seul a préconisé de refuser l’extension, ce qui a été fait). Le ministère ne l’a sollicité de lui-même qu’une fois.
Le syndicat patronal minoritaire de la plasturgie Plastalliance, qui s’est illustré sur les accords de performance collective , a, lui, initié deux des saisines transmises aux experts recensées… Mais aussi une qui ne l’a pas été. Et c’est cette dernière qui est à l’origine de l’arrêt du 5 juillet. Elle porte sur un sujet d’importance puisqu’il s’agit d’un accord instaurant des indemnités de licenciement et de départ en retraite supérieures au régime légal qui prévalait avant, étendu par un arrêté du ministère du Travail en date du 18 décembre 2020.
Jurisprudence très claire
Oubli ou refus volontaire ? En tout cas, le contentieux qui a résulté de la non-transmission au groupe d’experts a conduit à une jurisprudence très claire. « Dès lors qu’une organisation d’employeurs ou de salariés représentative dans le champ d’application de la convention, de l’accord ou de l’avenant qu’il est envisagé d’étendre par arrêté adresse au ministère chargé du Travail une demande écrite et motivée en vue de la saisine du groupe d’experts [….] le ministre doit procéder à [sa] saisine », affirme l’arrêt du Conseil d’Etat qui condamne en outre l’Etat à verser à Plastalliance 3.000 euros. « L’ordonnance de 2017 emploie le présent de l’indicatif ce qui signifie une obligation depuis la recodification de 2008 », souligne Nicolas Léger, avocat chez Proskauer.
Ce faisant, la plus haute juridiction administrative a annulé l’arrêté d’extension. Mais si elle a aussi condamné l’Etat à verser à Plastalliance 3.000 euros, elle a pris la précaution de ne rendre sa décision applicable qu’à compter du 5 juillet. Cela rend définitives les indemnités versées en application de l’accord. Les personnes qui les ont touchées n’auront donc pas à rembourser.
Mais le feuilleton n’est pas terminé pour autant. « Nous allons engager un recours collectif contre l’Etat sur le surplus d’indemnités versé [par rapport au minimum légal] par les entreprises du fait de l’application de l’accord entre décembre 2020 et le 5 juillet 2022 », annonce aux « Echos » le secrétaire général de Plastalliance, Joseph Tayefeh, qui souligne que « le préjudice est très facilement chiffrable ». Le paradoxe est que l’obligation non respectée sur laquelle l’Etat a été sanctionné est purement procédurale puisque le Code du travail n’impose pas de suivre les préconisations du groupe d’experts mais seulement de recueillir leur avis. Même si ce dernier avait été négatif, le ministère du Travail aurait pu étendre l’accord sans voir sa décision annulée.