« Je pense que les organisations patronales et syndicales peuvent constater qu’on les a écoutés, et qu’on a pris en compte leurs remarques »… Interrogée mardi matin sur Europe 1, Elisabeth Borne a fait preuve d’une grande confiance dans sa capacité à faire passer, après de nombreux reports, la réforme de l’assurance-chômage. Une réforme que la ministre du Travail juge toujours « nécessaire », quitte à en décaler l’application en tenant compte de l’évolution du marché de l’emploi .
Méthode Coué à une semaine d’une réunion censée être décisive ? Cela y ressemble au vu des oppositions toujours résolues des intéressés, comme en témoigne la prise de position unanime mardi de la CFDT, de FO, de la CGT, de la CFE-CGC et de la CFTC.
Dans un communiqué commun (ce n’est pas si fréquent), les cinq confédérations représentatives des salariés réaffirment leur « profond désaccord avec le principe fondateur de cette réforme selon laquelle la baisse des allocations chômage inciterait à un retour plus rapide à l’emploi ».
Cette réforme, menée sans étude d’impact ajoutent-ils, est « d’abord l’occasion de faire d’importantes économies budgétaires aux seuls dépens des demandeurs d’emploi ». Et de plaider dans le contexte actuel de crise pour une « remise à plat » de l’assurance-chômage afin d’améliorer les droits des chômeurs.
Trois sur quatre
Des quatre grandes évolutions envisagées, trois sont rejetées en bloc. Primo, le nombre de mois nécessaires pour toucher une allocation chômage ou recharger ses droits. « L’abaissement des seuils d’ouverture des droits doit bénéficier à toutes et tous », rappellent les syndicats, ciblant les jeunes en particulier.
La modification, secundo, de la règle de calcul du salaire journalier de référence (le SJR dont on déduit le montant de l’allocation mensuelle) ne trouve pas plus grâce à leurs yeux alors qu’elle constitue pour le gouvernement la réponse à l’un des deux objectifs de la réforme, à savoir que l’allocation soit la même quelle que soit la façon dont le chômeur ait travaillé. Cette règle doit continuer « de délivrer une indemnisation au plus proche du salaire perdu, identique pour les personnes ayant perdu un même salaire avec un temps de travail équivalent », plaident les syndicats, ce qui laisse toutefois entendre qu’ils sont prêts à quelques ajustements à la formule actuelle, qui découle de la précédente réforme de 2017.
Inefficace et injuste
Dernière évolution de la réforme décriée : la dégressivité des allocations pour les plus hautes rémunérations. Jugée « inefficace », elle doit être abandonnée, comme le montre le précédent de 2001 parce qu’elle « incite à accepter des emplois moins qualifiés, a contrario de l’objectif de hausse générale des qualifications ». S’ajoute un procès pour injustice car la dégressivité sanctionne les personnes qui ont le plus de mal à retrouver un emploi. En clair, les seniors.
Elisabeth Borne peut en revanche compter sur les cinq confédérations pour défendre la dernière mesure clivante de la réforme, la modulation des cotisations chômage employeur sous forme de bonus-malus. Pour le gouvernement, ce bonus-malus, qui fera qu’une entreprise cotisera plus ou moins selon qu’il recourt plus ou moins aux contrats de travail de courte durée, est censé répondre à l’autre objectif de la réforme : lutter contre la précarité professionnelle.
Les patrons en coulisse
« La limitation du recours aux contrats très courts est un impératif, alors que les trajectoires professionnelles sont de plus en plus hétérogènes, générant des situations de précarité pour les personnes en situation de CDD ou de temps partiel contraint, en grande majorité pour des femmes dans ce dernier cas », insistent les syndicats.
Face à ce tir de barrage, le camp patronal préfère se tenir en coulisse, pour tenter de freiner l’instauration de ce bonus-malus, sans grand succès à ce stade. Et pour cause : la mesure renvoie à une promesse de la campagne d’Emmanuel Macron. Qui plus est, son instauration permettrait d’équilibrer la potion de la réforme entre mesures concernant les chômeurs et celles concernant les entreprises.
Mais une chose est sûre, la réforme ne s’appliquera pas au 1er avril, comme envisagé jusque-là après déjà deux reports. Elle entrera plutôt en vigueur au mieux à l’été, le temps de publier les décrets.