Au début de la campagne vaccinale contre le Covid, les Parisiens se passaient le mot : il y a encore des doses en Seine-Saint-Denis, courons-y ! Hélas, les Séquano-Dyonisiens, eux, ne se sont pas précipités. Seuls 23 % d’entre eux avaient reçu une première injection le 23 mai, contre 34 % des Français. Et moins de 10 % avaient achevé leur parcours vaccinal, contre 16 % au niveau national.
Simple conséquence de la part importante des jeunes dans ce département défavorisé ? Pas vraiment, puisque le retard du « 9-3 » se vérifie dans toutes les classes d’âge, y compris chez les jeunes. Mais le vrai souci, ce sont les personnes âgées , sur qui plane la menace d’une hospitalisation ou d’un décès lié au Covid : 71 % des plus de 75 ans du département étaient vaccinés le 23 mai, contre 79 % des Français.
Cancers, hypertension, retard mental, le grand écart
Grâce au croisement du fichier de la vaccination Vaccin Covid et du système national des données de santé et à la publication des chiffres en open data depuis vendredi, on peut désormais également suivre en temps réel l’évolution du taux de vaccination des populations les plus à risque en raison d’une comorbidité.
Là aussi, le département est à la traîne. Au 23 mai, seuls 37 % de ses habitants souffrant d’obésité « sévère » (avec un épisode d’hospitalisation) avaient reçu une injection, dix points de moins que la moyenne nationale. Le taux était de 58 % pour les cancers actifs du sein, soit onze points de moins. Pour les traitements hypertenseurs, l’écart était de 13 points (57 %) ; pour le retard mental, de 18 points (38 %).
Vaccination sans rendez-vous
« Il y a un décrochage dans l’accès au vaccin en Seine-Saint-Denis. C’est un problème fréquent de santé publique dans ce département », alerte Aurélien Rousseau, le directeur général de l’Agence régionale de santé d’Ile-de-France. Vendredi, il a réuni en visioconférence le préfet et les maires des 40 communes pour organiser la riposte.
Résultat, ce week-end, certains centres de vaccination ont retardé l’heure de la fermeture pour prendre plus de monde. D’autres ont ouvert des plages de vaccination sans rendez-vous, alimentés par 15.000 doses supplémentaires pour samedi et dimanche.
« Si ça marche, poursuit le haut fonctionnaire, on étendra cette démarche à tous les centres du département, à part le stade de France ». L’expérience a déjà débuté à Villepinte, où le « vaccidrive » (l’injection se fait en libre accès sans sortir de sa voiture) a permis 1.200 vaccinations samedi.
Faire de la dentelle
Le département a longtemps eu une faible proportion de doses car elles étaient envoyées au prorata de la population âgée, peu importante, et parce que l’abaissement du plancher d’âge a été plus rapide que le renforcement de la dotation départementale en vaccins. « Mais le mois de juin sera décisif pour réduire la fracture vaccinale en Seine-Saint-Denis, avec 120.000 doses par semaine. L’ARS s’engage à fournir autant de doses que ce que l’on pourra ouvrir de capacités à vacciner », assure Aurélien Rousseau.
Cette mobilisation est à l’image du nouveau tournant que l’Assurance-maladie voudrait imprimer à la campagne vaccinale. « La politique consistant à aller vers les personnes âgées a très bien fonctionné, mais nous étions aveugles sur l’état de santé des personnes vaccinées. A présent, nous allons pouvoir faire de la dentelle et intensifier le ciblage des personnes à risque », explique Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée à la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM).
48 % de vaccinés parmi les obèses sévères
En effet, les trois-quarts de plus de 60 ans sont vaccinés au niveau national, et la campagne d’appels et de SMS pour inciter les plus de 75 ans à prendre un rendez-vous a bien fonctionné, avec 80 % de primo-vaccinés.
Mais côté comorbidités, sur les cinq pathologies « à très haut risque » (cancers actifs, dialysés, transplantés, mucoviscidose, trisomie), les taux oscillent entre 66 % et 83 % de la population adulte – peut mieux faire.
Quant à certaines pathologies « à risque », elles sont très mal couvertes, à commencer par l’obésité sévère (48 %), les maladies du foie (53 %), les maladies respiratoires (59 à 64 %). La CNAM a réuni les associations de patients cette semaine pour établir un plan d’attaque. « La nouvelle consigne, c’est tous sur le pont pour repérer les personnes non-vaccinées avec une comorbidité », explique Marguerite Cazeneuve. Kits de communication par pathologie ; mobilisation des pharmaciens ; campagnes de « nudge » : cette nouvelle bataille sera un bon entraînement avant d’affronter le mur de la baisse d’intérêt pour la vaccination, probablement cet été.