La semaine passée, le gouvernement a mis en place des mesures d’aides financières aux entreprises, l’État garantissant soit par Bpifrance soit directement les financements bancaires que pourraient demander les entreprises. L’enveloppe débloquée ces financements est de de 700 millions d’euros alors que l’enveloppe pour les Prêts Garantis par l’État est de 300 milliards d’euros. C’est dans cette dernière catégorie que les entreprises iront principalement chercher leurs financements. Sous la contrainte de la règlementation européenne, le gouvernement a édicté des conditions d’éligibilité pour l’octroi de ces financements aidés, prenant notamment en compte la santé financière du bénéficiaire.
La question s’est immédiatement posée de savoir si ces aides profiteraient à toutes les entreprises, et surtout aux plus faibles d’entre elles, c’est-à-dire celles qui en ont le plus cruellement besoin. En l’état, la réponse est extrêmement claire : les entreprises les plus faibles ne peuvent bénéficier du dispositif d’aides financières mis en place.
Initialement, les annonces gouvernementales, excluaient les entreprises en plan de sauvegarde ou en plan de redressement du champ de l’aide financière prévue. Des associations professionnelles telles que l’Institut français des praticiens des procédures collectives ou encore la prestigieuse ARE (Association pour le retournement des entreprises) ont demandé au ministre des Finances que le dispositif de garantie de prêt par l’État soit étendu aux entreprises en plan de sauvegarde ou de redressement. Elles ont été entendues puisque le 31 mars, le ministre a précisé qu’il fallait comprendre du texte que ces entreprises bénéficiaient également du dispositif. Mais en réalité, leur situation comptable et financière les exclut dans les faits : par hypothèse, une société en plan de sauvegarde, ou de redressement a des dettes importantes et ses capitaux propres sont négatifs, ce qui la rend dans les faits inéligible à l’aide d’État.
Ces procédures, même si elles présentent des avantages indéniables, constituent toujours un traumatisme. L’entreprise en sort toujours convalescente et au-delà, on sait qu’elles ont les plus grandes peines à trouver des partenaires bancaires, même si certaines banques spécialisées développent des services qui leur sont dédiées, comme la banque Thémis.
Ces entreprises encore fragiles, qui n’ont pas accès aux financements bancaires et qui se trouvent confrontées comme les autres à la difficulté supplémentaire de la crise du Coronavirus se voient donc privées de l’accès aux financements aidés. Ainsi, paradoxalement, les besoins de financements des plus forts vont être satisfaits face à une crise sans précédent, alors que les plus faibles seront privés de cette aide.
Comment la règle européenne restreint le dispositif d’aides français
On aurait pu se consoler en disant que le dispositif est ouvert aux entreprises en mandat ad hoc ou en conciliation, procédures dont les pouvoirs publics et les professionnels n’ont cessé de vanter les mérites et de promouvoir l’usage. C’est certes une disposition importante, mais sa portée se trouve dans les faits très limitée. Cette porte ouverte par l’arrêté se trouve en effet aussitôt refermée du fait de la règlementation européenne : la Commission européenne a indiqué dès le 21 mars 2020 que les entreprises « en difficulté » au sens du droit européen, n’étaient pas éligibles aux dispositifs mis en place par le gouvernement français. Or, le plus souvent – pour ne pas dire dans l’immense majorité des cas – les entreprises qui se placent sous la protection d’une procédure de mandat ad hoc ou de conciliation, sont « en difficulté » pour Bruxelles… alors qu’elles ne le sont pas pour le droit français. Cette mesure d’aide française est donc considérablement restreinte par l’effet de la réglementation européenne.
Qu’elle soit grande ou petite, une entreprise affaiblie par ses difficultés de structure bilancielle ou de trésorerie, ou des deux et qui de surcroit se trouve confrontée à la difficulté supplémentaire de la crise du Coronavirus, ne pourra pas bénéficier du système d’aides financières mis en place par l’État français. Des premières victimes sont déjà à déplorer, comme le groupe de distribution de chaussure André, qui vient d’être placé en redressement judiciaire. Celui-ci, qui avait déjà souffert de l’effet des gilets jaunes et des grèves, après une période de mandat ad hoc, s’est vu cette semaine refusé les financements demandés à la BPI.
Maigre consolation, la date des difficultés s’apprécie au 31 décembre 2019, autrement dit les entreprises dont les difficultés sont apparues après cette date peuvent bénéficier du dispositif. En clair, les entreprises saines au 1er janvier 2020 peuvent bénéficier du système d’aides mais celles qui étaient déjà faibles à cette date ne seront pas aidées. La situation serait un peu comme si on refusait une aide médicale à ceux qui souffrent déjà d’autres pathologies et pour ce seul motif.
Une adaptation du dispositif semble aujourd’hui vitale pour l’avenir de notre tissu économique.
Attention au bilan 2019…
En attendant une éventuelle révision du dispositif, les entreprises « en difficulté » – qui sont en période de clôture de bilan et qui dispose d’un délai supplémentaire grâce à un décret récent – doivent apporter une attention toute particulière à l’arrêté de leurs comptes au 31 décembre 2019. Les arbitrages comptables ne doivent plus être guidés par des considérations d’optimisations fiscales notamment mais sans doute par la recherche d’un équilibre bilanciel qui leur permettent de remplir les conditions d’un accès au Prêt Garanti par l’État. Il faut notamment que leurs capitaux propres soient supérieurs à la moitié de leur capital social.
Celles considérées comme non éligibles devront se replier sur les autres mesures d’aides mises en place, notamment le report du paiement des charges sociales et des impôts directs, le chômage partiel, le différé de paiement des loyers et la bienveillance des banques dans le respect des prêts en cours. Une fois encore la pleine efficacité de ces mesures supposera d’être accompagné par des professionnels aux nombres desquels figurent les administrateurs et mandataires judiciaires, les experts-comptables et auditeurs et les avocats spécialisés dans la prévention et le traitement des difficultés des entreprises.
Assure-t-on l’avenir de l’espèce en sélectionnant les plus forts ? Ceux qui le pensent ou l’écrivent ces jours-ci ont une mauvaise lecture de Darwin : l’avenir appartient aux plus adaptables. C’est une vision qui s’applique parfaitement aux entreprises, qu’elles soient ou non en difficulté. Il ne reste qu’à espérer que le législateur le comprenne avant qu’on laisse mourir des sociétés qui pour certaines, sont des futures pépites de notre économie. Après tout n’est-ce pas au nom d’une conception étriquée de la compétitivité qu’on a laissé mourir des entreprises de textiles et de métallurgie dont la France, en manque de masque ou de matériel médical, déplore aujourd’hui la disparition ?