Ils ne se font aucune illusion. Les assureurs santé savent qu’à la rentrée, ils vont devoir « rendre » à la Sécurité sociale les sommes qu’ils ont tout à fait involontairement économisées cette année, lorsque le coronavirus a vidé les cabinets médicaux et les hôpitaux de leurs patients habituels et poussé l’Assurance-maladie à assumer seule la totalité du coût des téléconsultations.
Selon nos informations, le gouvernement compte prélever, dès la fin de l’année, une « contribution exceptionnelle » sur les complémentaires santé. Le produit épongera une partie des pertes de l’Assurance-maladie, qui s’annoncent dantesques : 31 milliards d’euros en 2020, en raison de la chute des rentrées de cotisations.
Prendre une « juste part » à l’effort
L’idée avait été lancée au printemps par les deux ministres en charge de la Sécurité sociale, Olivier Véran à la Santé et Gérald Darmanin aux Comptes publics – ce dernier ayant depuis été remplacé par Olivier Dussopt. En juin, ils avaient écrit aux complémentaires pour leur demander de « prendre leur juste part » après l’effort consenti au pic de l’épidémie par les professionnels de santé et les soignants, en insistant sur le fait qu’elles « ne peuvent en aucune façon tirer un bénéfice économique de cette crise ».
Lors d’une réunion rue de Ségur en juillet, les trois familles d’organismes complémentaires (assureurs, institutions de prévoyance et mutuelles) ont été informées de la volonté de l’exécutif d’inscrire cette taxe ponctuelle dans le prochain budget de la Sécurité sociale, discuté à l’automne.
La piste de l’assiette TSA
« Ils ont été très flous sur les modalités techniques », souligne-t-on côté assureurs. Et pour cause : elles restent à définir, en attendant un arbitrage à la rentrée. L’administration de la Sécurité sociale explore la piste d’une contribution sur la même assiette que la taxe de solidarité additionnelle (TSA), prélevée sur les contrats d’assurance-santé, et même ponctionnée deux fois sur les contrats qui ne sont pas labellisés « responsables ».
D’autres schémas sont cependant à l’étude. Car pendant la crise, les spécialistes des contrats collectifs ont accordé des reports d’échéances aux entreprises clientes. A présent, ils ne sont pas sûrs de récupérer toutes ces sommes. De plus, à l’heure où la crise fait redouter une explosion du chômage, ils sont obligés, au titre de la portabilité , de couvrir gratuitement les personnes licenciées pendant plusieurs mois. « Les institutions de prévoyance nous demandent de prendre en compte leurs recettes plutôt que leur chiffre d’affaires », explique-t-on au ministère de la Santé.
Elles proposent en effet que soit taxée la partie de leur résultat « santé » 2020 qui dépassera de la moyenne des trois dernières années. Une façon de « personnaliser » la contribution en tenant compte de la façon dont la crise affecte les moyens de chacun.
Acompte avant la fin décembre
Quant au montant à prélever, le flou devrait perdurer un certain temps. Le gouvernement évalue les moindres dépenses de santé des complémentaires à quelque 2,6 milliards d’euros pendant le confinement. Mais une partie des consultations ont juste été reportées dans le temps. On note déjà une surconsommation de soins dentaires, avec des prothésistes très sollicités, et un rebond des analyses biologiques (hors tests Covid-19).
Ce rattrapage de soins risque de se doubler d’une aggravation des pathologies qui n’ont pas été soignées à temps, entraînant des coûts supplémentaires. Autant d’éléments qui pourraient modifier l’impact de la crise pour les complémentaires et donc les montants à « rendre ». La solution pourrait être de prélever la contribution en deux temps, dit-on au ministère de la Santé : d’abord « un acompte incontestable en décembre 2020 », sitôt le budget voté, puis le solde fin 2021, après avoir tenu compte du rattrapage de soins.
L’ambiance n’est, en tout cas, pas au passage en force. Le gouvernement clame qu’on ne fera pas redémarrer la France en augmentant les impôts. Qui plus est, il ne faudrait pas que les assureurs se braquent et se rattrapent sur leurs tarifs l’année prochaine. « Il faut voir exactement quel dispositif sera arrêté. Notre volonté, c’est de répercuter le moins possible cette taxe sur les prix. Mais tout dépendra de la réalité de notre marge de manoeuvre », avance-t-on du côté des assureurs.