L’enquête sur les soupçons de fraude aux aides à l’apprentissage se précise. Le ministère du Travail cible une petite vingtaine d’établissements de l’enseignement supérieur qui auraient déclaré un nombre anormalement élevé d’étudiants n’ayant pas trouvé d’employeur pour toucher, c’est ce qu’il faut vérifier, jusqu’à 3.000 euros par jeune. Au total, jusqu’à 10.000 d’entre eux seraient concernés, soit deux fois plus que l’estimation précédente , sur les 38.000 (dernier décompte à date) apprentis sans contrat, même si la prudence est de mise sur ce chiffre.
Le dispositif objet de ces soupçons a été décidé lors du premier confinement et complété dans le cadre du plan jeune . Il autorise les Centres de formation d’apprentis (CFA) à garder un jeune jusqu’à six mois le temps qu’il trouve un employeur, en échange d’un forfait de 500 euros par mois pour couvrir sa formation. Ce sas a été ouvert sur la période du 1er août au 31 décembre.
Rumeurs de détournement
Il n’a pas fallu longtemps avant que ne courent les premières rumeurs de détournement du dispositif sur le dos des étudiants. Jusqu’à ce que la ministre du Travail, Elisabeth Borne, n’en fasse état publiquement mi-décembre, en ciblant des écoles de commerce notamment . « Il y a un sujet, mais on ne sait pas encore le quantifier », confirme le directeur d’un CFA.
Pour y voir plus clair, le ministère dispose donc d’une liste d’une vingtaine d’établissements, certains récemment lancés dans l’apprentissage, qui ont déclaré de 300 à plus de 1.000 apprentis sans contrat. « Trois cents, ça commence à faire beaucoup : c’est l’équivalent de dix classes de 30. Un millier c’est la taille d’un grand lycée ! », commente un bon connaisseur du dossier.
En tête de liste se trouvent des écoles du groupe Galileo – numéro un de l’enseignement supérieur privé en France -, notamment celles de l’ESG, avec jusqu’à 1.377 jeunes déclarés sans contrat, 1.241 au dernier comptage, certains ayant trouvé ou abandonné depuis. Ce chiffre pourrait correspondre au nombre de jeunes « qui avaient manifesté de l’intérêt pour l’apprentissage mais qu’on a inscrits en formation initiale parce qu’on avait des doutes sur leur capacité à trouver un contrat », indique le directeur des affaires publiques de Galileo, Julien Blanc, qui s’interroge sur l’origine de ce chiffre.
En 2020, les écoles de l’ESG ont inscrit 3.300 nouveaux apprentis, dont plus d’un millier de contrats étaient « formellement sous sas ». Mais le groupe n’en a inscrit que 786 dans cette catégorie, considérant que, pour les autres, la signature d’un contrat était imminente. Sur les 786 jeunes concernés, 66 sont aujourd’hui sans contrat, « soit un taux de placement de 92 % ».
Ne pas se voir reprocher d’être « opportunistes »
En deuxième position figure Studi, spécialisé dans les formations en ligne et membre du même groupe, avec 843 apprentis déclarés sans contrat. Galileo confirme ce chiffre, en précisant qu’il y avait initialement plus d’un millier d’apprentis bénéficiant du sas, que 268 contrats d’apprentissage ont été signés, et que 50 autres devraient l’être « très prochainement ». Le groupe affirme aussi n’avoir, pour le moment, « envoyé aucune facture » pour bénéficier de l’aide, « justement parce qu’on ne voulait pas se voir reprocher d’être opportunistes ».
Adaforss arrive en troisième position avec 830 jeunes déclarés sur un peu plus de 900 entrées en apprentissage, un chiffre que ce CFA spécialisé dans le sanitaire, le social et le médico-social justifie. « Tous les ans, la plupart des jeunes trouvent leur employeur après avoir démarré la formation, c’est une particularité de ce secteur », explique la responsable du pôle administratif, Mélanie Bazot. L’établissement ne demandera à toucher les 500 euros qu’au prorata des périodes réellement sans contrat, assure-t-elle.
L’ENSMI, école spécialisée dans le management immobilier, qui arrive en 4e position avec 817 apprentis qui auraient été déclarés, a refusé de s’exprimer.