A première vue, c’est une bonne nouvelle. Pour la première fois depuis de longs mois, l’inflation en France s’est offert un répit. La hausse des prix à la consommation a ralenti en août à 5,8 % sur un an , comme en juin, après 6,1 % au mois de juillet, selon l’estimation provisoire publiée ce mercredi par l’Insee. Mais à ce stade, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, se garde bien de crier victoire et n’envisage pas d’accalmie avant le premier trimestre 2023.
Alors que la crise énergétique liée à la guerre en Ukraine et les sanctions occidentales contre la Russie entraînent la plus forte vague d’inflation depuis quarante ans, « ce reflux tient de fait uniquement à la détente des cours de l’énergie. Entre la baisse des cours du pétrole brut et la remise de 18 centimes à la pompe, mise en place par l’exécutif, les prix des carburants ont enregistré un recul de plus de 15 % depuis leur pic atteint en juin », a calculé Bruno Cavalier, chef économiste d’Oddo BHF.
Tous les autres prix progressent, en revanche. Les étiquettes des produits alimentaires ont ainsi continué de s’envoler, en hausse désormais de 7,7 % sur un an, contre 6,8 % à fin juillet. Et les prix des produits manufacturés bondissent eux aussi, de 3,5 %, comme ceux des services, de 3,9 %. Sur un mois, les prix à la consommation augmentent de 0,4 % après + 0,3 % en juillet, indique l’institut de la statistique.
Une évolution « pas vraiment favorable », comme le souligne dans une note publiée ce mercredi Charlotte de Montpellier, économiste chez ING, pour qui « il est trop tôt pour parler d’un véritable ralentissement de l’inflation ».
C’est d’ailleurs l’avis qui domine chez les économistes aujourd’hui. Pour eux, le reflux des prix constaté en août ne signifie pas que le pic d’inflation en France est passé. Le renforcement de la remise à la pompe de 18 centimes à 30 centimes par litre d’essence acheté à partir du 1er septembre, et pour deux mois, devrait certes calmer le jeu en septembre et en octobre. Mais les prix de l’énergie restent très volatils, « ce qui rend difficile de savoir si l’inflation globale a déjà atteint son pic », relève l’experte d’ING. Par ailleurs, « le mouvement de fond des prix, hors essence, est orienté à la hausse jusqu’à la fin de l’année », souligne Charles-Henri Colombier, économiste chez Rexecode.
Alors qu’il y a quelques semaines, une accalmie pouvait selon lui être envisagée en fin d’année, l’explosion récente des prix du gaz et de l’électricité a également changé la donne. « Le choc va se répercuter sur la structure de coûts des entreprises, et risque de ce fait de se diffuser dans l’économie », affirme-t-il.
Sortie progressive du bouclier tarifaire
Selon les économistes, la situation risque surtout de se tendre en 2023. De fait, l’exécutif ne cache pas son intention de faire évoluer le bouclier tarifaire sur le prix du gaz et de l’électricité pour mettre en place un dispositif ciblé sur les ménages les plus modestes.
« Ce bouclier a permis de retirer 2 points d’inflation à la France, qui vont réapparaître si le dispositif s’arrête », prévient Patrick Artus, conseiller économique de Natixis. Alors que l’Hexagone peut se targuer d’une inflation nettement plus faible que la moyenne de la zone euro, la situation pourrait s’inverser l’an prochain, selon Charlotte de Montpellier, qui rappelle que « les effets de base seront moins favorables que dans les pays voisins ». « In fine, un dispositif d’aides moins généreux se traduira par des pertes de pouvoir d’achat l’année prochaine », résume Mathieu Plane, économiste à l’OFCE, qui voit de gros nuages noirs s’accumuler sur l’économie française en fin d’année.
Recul du taux d’épargne
Pour l’instant, celle-ci résiste. L’Insee a confirmé la hausse de 0,5 % du PIB au deuxième trimestre . Dans le contexte d’inflation élevée, cette première partie de l’année s’accompagne toutefois d’une perte de pouvoir d’achat pour les Français. Mesuré par unité de consommation, celui-ci a selon l’institut reculé de 1,2 % au printemps, après une baisse de 1,8 % au premier trimestre.
Confrontés au renchérissement du coût de la vie, les ménages puisent dans leur bas de laine pour financer leurs dépenses. D’où une baisse sensible de leur taux d’épargne, de 16,7 % à 15,5 % de leur revenu disponible, entre avril et juin.
Grâce à cette « cagnotte », la consommation, premier moteur de la croissance française, a tenu, en hausse d’un modeste 0,3 %, après un repli de 1,2 % en début d’année. Les signes d’essoufflement restent néanmoins perceptibles. Si la consommation de services se porte bien, portée par l’activité florissante de l’hôtellerie et de la restauration, les achats de biens ont en revanche reculé de 0,8 % en volume en juillet, selon l’Insee.
Les biens manufacturés sont les premiers à faire les frais de cet ajustement. La flambée des prix fait aussi chuter les achats d’énergie et d’alimentation. « Les ménages ont ajusté très vite leur consommation à l’évolution de leur pouvoir d’achat. C’est un signe plutôt inquiétant », estime Mathieu Plane.