Etre discriminé est une chose, le prouver en est une autre, car le plus souvent, c’est l’auteur des discriminations qui est en possession des preuves, que ce soit sur les sujets salariaux, les refus d’embauche ou encore de location d’appartement. C’est pour cela que depuis 2008 , dans la lignée du droit européen, la loi française prévoit que « toute personne qui s’estime victime d’une discrimination directe ou indirecte présente devant la juridiction compétente les faits qui permettent d’en présumer l’existence ». Cet aménagement de la charge de la preuve a permis de faciliter l’accès à la justice. Mais la difficulté en rebute plus d’un et pour ceux qui se lancent, le parcours est semé d’embûches.
Le point sur les outils juridiques
Parce qu’elle est « saisie de nombreuses réclamations soulevant les difficultés d’accès à la preuve […] entravant le droit des personnes de faire reconnaître la discrimination qu’elles ont subie et de voir leur entier préjudice réparé », la Défenseure des droits, Claire Hédon, qui a fait de l’amplification de la lutte contre les discriminations une priorité , vient de signer une décision-cadre sur le sujet . Cette forme de vade-mecum fait le point sur les outils juridiques fournis par les textes – français mais aussi européens – comme les jurisprudences, pour que chacun s’en empare. Le message s’adresse à toutes les parties prenantes : les plaignants, mais aussi leurs avocats, les mis en cause et les juges, au premier rang desquels les conseils de prud’hommes.
« Notre objectif est de permettre l’accès à la preuve de manière à rendre effectif le droit de la non-discrimination », résume-t-on dans son entourage. Avec en arrière-plan une adresse plus particulièrement aux victimes que la perspective d’un contentieux complexe peut effrayer qu’on pourrait résumer ainsi : « N’ayez pas peur d’aller en justice ». Et un focus particulier sur la discrimination au travail. La décision-cadre qui vient d’être publiée sur Internet souligne que « malgré le partage de la preuve, une inégalité d’armes persiste dans les faits […] compte tenu du lien de subordination dans lequel le salarié se trouve ».
Faisceau d’indices
Parce que même la constitution d’un faisceau d’indices convergents qui « doit seulement faire naître un doute raisonnable dans l’esprit du juge » s’avère complexe, la Défenseure des droits liste les indices déjà reconnus en droit français, mais aussi les autres pistes que dessine la jurisprudence européenne que les avocats des plaignants auraient tout intérêt à explorer. Notamment l’existence éventuelle dans une entreprise d’une « ségrégation professionnelle entre hommes et femmes » et d’une « sous-rémunération des emplois féminins pourtant de valeur égale à ceux occupés principalement par des hommes ». La décision rappelle aussi que « la comparaison n’est pas obligatoire pour mettre en lumière une discrimination subie », « la chronologie des faits peut par exemple constituer un élément de présomption de discrimination » suffisant.
Elle rappelle par ailleurs le rôle déterminant du juge. Ce dernier « doit permettre l’accès aux éléments de preuve en possession de l’employeur en adoptant un rôle actif » qui est « crucial ». S’il n’a « pas un pouvoir automatique » pour demander la communication d’éléments, dans un contentieux de discrimination, il doit vérifier l’accès aux informations demandées (dont la proportionnalité au regard du respect de la vie privée), restreindre et non rejeter les demandes trop générales de communication de preuves et peut même prononcer une expertise dans un contentieux de discrimination.
La consécration de la méthode « Clerc »
La décision rappelle par ailleurs la force de l’article 145 du Code de procédure civile, qui permet de demander en référé avant le procès des éléments détenus par la partie adverse. « Il ne fait plus de doute que le droit à la preuve recouvre le droit d’obtenir une preuve qu’un salarié ne détient pas, pour la défense de son droit de faire reconnaître la discrimination subie », est-il écrit. Et concernant l’enjeu de la réparation intégrale du préjudice subi, il est renvoyé à la méthode « Clerc », du nom du militant de la CGT qui l’a construite, pour le calcul du différentiel salarial de traitement, consacrée par la Cour de cassation.