Quelque chose ne tourne pas rond à l’hôpital. On est remboursé à 100% pour une opération de la cataracte, mais le reste à charge d’un malade du coronavirus peut dépasser 8.000 euros après un séjour de deux semaines. Une bombe à retardement financière pour les familles comme pour les établissements.
«Il nous est arrivé d’établir des factures de plusieurs milliers d’euros directement au patient, parce qu’il n’a pas de mutuelle, ou qu’il n’y a pas d’accord de tiers payant avec cet organisme», raconte Pierre-Emmanuel Lecerf, le directeur général adjoint de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Sur l’ensemble des restes à charge, environ 30 % sont facturés directement aux patients. On sait que 4% des Français ne sont toujours pas assurés malgré les contrats obligatoires en entreprise. Quant à ceux qui sont couverts, ils n’ont pas forcément les moyens de faire l’avance de trésorerie.
«Quand les gens ne peuvent pas payer, on ne recouvre pas, ce qui représente une perte de 70 millions d’euros chaque année, à rapporter à nos 169 millions de déficit attendu pour 2019», poursuit Pierre-Emmanuel Lecerf. Les restes à charge élevés du Covid-19 vont exacerber ces difficultés. «Au début de l’épidémie, les factures étaient émises selon les règles en vigueur, puis nous avons décidé de retenir les factures quand il n’y avait pas de mutuelle. Nous en assumons la charge financière dans l’attente d’un dispositif permettant de couvrir ces coûts», espère le dirigeant. A l’AP-HP, le reste à charge moyen d’un séjour pour coronavirus s’élève à 1.500 euros et la médiane à 1.100 euros.
Les injustices du ticket modérateur
Mais pourquoi l’hospitalisation est-elle si mal remboursée? Cela tient aux règles d’exonération du ticket modérateur, cette contribution des patients instaurée il y a presque un siècle afin de les «responsabiliser» et de limiter les dépenses de santé . Pour alléger la facture, il a été décidé d’exonérer les actes techniques supérieurs à 120 euros. La chirurgie est donc remboursée à 100%, mais pas les consultations de médecine (avec parfois de gros dépassements d’honoraires) ou les séjours longs des personnes âgées, parfois beaucoup plus chers qu’un acte technique.
On facture donc le coronavirus comme la grippe. Mais le Covid-19 fait entrer l’hôpital dans une autre dimension : plus de 107.000 personnes ont déjà été hospitalisées depuis le début de l’épidémie. Et les patients restent 19 jours en moyenne en réanimation, du moins sur la première vague à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris. En région parisienne, une journée en soins intensifs est généralement facturée 2.932 euros. Ce tarif journalier est établi en fonction des coûts, qui sont bien plus élevés que dans un service de médecine classique, avec des respirateurs, des règles d’hygiène renforcées et cinq fois plus de personnel au lit du patient. Le ticket modérateur de 20% approche 600 euros.
Quant aux patients plus légers, ils risquent eux aussi de recevoir des factures salées, car la journée d’hospitalisation «simple» se monte entre 900 et 1.300 euros, avec là aussi un ticket modérateur.
«Grande Sécu»
Le coronavirus a réveillé un vieux débat, celui de la mise en place de la «grande Sécu» pour rembourser les soins hospitaliers. Il s’agirait de créer un guichet unique géré par l’Assurance-maladie, afin de renforcer l’accès aux soins et d’économiser les frais de gestion des complémentaires. L’AP-HP estime par exemple pouvoir gagner 1.500 emplois à la comptabilité si elle se débarrasse de la gestion des factures complémentaires. Dans le cadre des concertations de juin-juillet animées par Nicole Notat, le «comité Ségur» a demandé au gouvernement une mission exploratoire, en vue d’inscrire une réforme dans le budget pour 2022.
Faute de «grande Sécu», le comité propose d’évincer les complémentaires santé, avec une prise en charge à 100% par l’Assurance-maladie. Le directeur général de l’AP-HP, Martin Hirsch, milite depuis des années en ce sens, impatient d’abolir le ticket modérateur , même s’il est prêt à élaborer un compromis avec la Mutualité française . A défaut, les participants à la concertation Ségur souhaitent la généralisation du tiers-payant intégral dans les établissements, «avec un guichet unique national pour gérer la part obligatoire et la part complémentaire».