L’affaire paraissait entendue. L’exécutif, à la recherche d’une réforme social structurante avant la fin du quinquennat , mais aussi d’une trajectoire budgétaire post-crise, ne ferait plus de cadeaux sur les retraites. C’était oublier la promesse présidentielle de porter le minimum de pension à 1.000 euros en 2022 pour les assurés ayant effectué une carrière complète, puis de le maintenir à 85 % du SMIC à partir de 2025.
La remise au Premier ministre mardi du rapport des députés LREM Nicolas Turquois et Lionel Causse sur les petites retraites braque à nouveau les projecteurs sur le sujet, et sur le besoin d’un texte législatif pour porter la promesse d’Emmanuel Macron, alors que la réforme des retraites a été suspendue en mars 2020 en raison de l’épidémie de Covid.
2,1 milliards en 2025
Les députés misent plutôt sur une entrée en vigueur du minimum de 1.000 euros en 2023. S’il s’agit juste de basculer le flux de nouveaux retraités, cela ne coûterait que 10 millions la première année et 230 millions en 2030, soulignent-ils – plus 5 millions par génération en incluant les travailleurs indépendants. La mesure pourrait être financée par une deuxième journée de solidarité, ou bien une hausse des cotisations, suggèrent-ils.
En revanche, offrir les mêmes avantages aux assurés déjà retraités serait beaucoup plus coûteux : 2,1 milliards d’euros dès 2025 pour couvrir salariés du privé, salariés agricoles et indépendants hors professions libérales. « Le coût annuel déclinerait ensuite car les très faibles pensions sont surreprésentées dans les tranches d’âge les plus élevées », nuancent les rapporteurs – alors que le coût de la revalorisation du flux doit à l’inverse dépasser 2 milliards d’euros en 2050.
Pas de mise en oeuvre immédiate
De plus, cette réforme « ne pourrait être mise en oeuvre de manière immédiate » car « ce dispositif, simple dans son principe, serait d’une redoutable complexité administrative pour apporter une garantie différentielle à chacun des retraités concernés », écrivent-ils. Ils proposent de financer cette mesure plus large par la mise à contribution des retraités aisés (suppression de l’abattement fiscal de 10 % sur leurs pensions) et/ou par un prélèvement supplémentaire sur les transmissions de patrimoine.
« Nous avons aussi cherché comment se prémunir contre les petites retraites à l’avenir », souligne Nicolas Turquois. Le nombre de retraités touchant moins de 1.000 euros mensuels de pension brute hors réversion a tendance à fondre au fil des générations, car les carrières s’allongent et les femmes travaillent plus. Ainsi, 31 % des pensionnés tombent dans cette catégorie, contre la moitié il y a trente ans.
Les députés proposent d’accélérer le mouvement, en limitant à cinq ans l’exercice professionnel en tant que microentrepreneur ou conjoint collaborateur d’exploitant agricole. Ces statuts qui ont apporté de la protection à des gens qui n’avaient rien « sont aujourd’hui clairement assimilés à une forme de précarité sociale car ils s’appuient sur un effort contributif faible qui amène à la constitution de droits faibles voire inexistants », pointe le rapport.
Dans la niche communiste
La revalorisation des conjoints collaborateurs d’exploitants agricoles est déjà à l’ordre du jour parlementaire, avec la proposition de loi Chassaigne, inscrite dans la niche communiste, et opportunément examinée le 17 juin, trois jours avant les élections régionales .
L’an dernier, le député avait obtenu que les chefs d’exploitation voient leur minimum de pension porté de 75 % à 85 % du SMIC dès novembre 2021, pour un coût de 280 millions d’euros en année pleine. Il porte à présent le même projet pour les conjoints collaborateurs et les aides familiaux – et préconise par ailleurs la limitation dans le temps du statut, comme les rapporteurs.
Du côté des financiers du gouvernement, cet agenda fait grincer des dents : le coût de la mesure est évalué à plus de 700 millions d’euros. « Ils veulent aligner le minimum de pension des conjoints sur celui des chefs d’exploitation, malgré une cotisation trois fois inférieure ; c’est la négation du système contributif », critique Nicolas Turquois, qui trouve cela « totalement injuste ». Mais politiquement, le sujet est sensible. Sachant enfin que des gestes sur le relèvement des petites retraites pourraient être consentis par l’exécutif dans le cadre de la réforme des retraites, si Emmanuel Macron décidait bel et bien de la reprendre.