Un économiste plutôt qu’un juriste. C’est l’une des raisons qui ont permis à Benoît Coeuré d’être nommé président de l’Autorité de la concurrence en janvier dernier. Mercredi, lors de la présentation du rapport annuel de l’institution, celui-ci a démontré que sa boussole était bien celle de l’économie. « Nous sommes là pour rendre du pouvoir d’achat aux consommateurs », a-t-il lancé, alors que le gouvernement s’apprête à dévoiler un paquet de mesures pour aider les Français face à la flambée des prix.
L’Autorité de la concurrence veut jouer un rôle dans cette mobilisation. « Dans les prochains mois, on sera particulièrement vigilant à l’égard des pratiques anticoncurrentielles qui conduisent à davantage d ‘inflation », a promis Benoît Coeuré. « Bruno Le Maire a demandé à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) de réaliser un audit de la répartition des marges dans la filière agricole : on pourrait aussi intervenir si on constate des entorses au droit de la concurrence », a-t-il poursuivi.
Concessions autoroutières
Benoît Coeuré a d’ailleurs confirmé que des enquêtes étaient en cours concernant le carburant en Corse. En décembre dernier, l’institution s’est saisie de ce dossier, alors que les prix à la pompe sont plus élevés sur l’île malgré une fiscalité dérogatoire.
Autre exemple cité : celui des concessionnaires autoroutiers. « Aujourd’hui un mode de tarification qui repose sur l’inflation et non pas sur les coûts et les marges des concessionnaires ne permet pas de rendre aux consommateurs la rente de ce secteur », a expliqué le patron de l’Autorité. « Nous pourrions nous pencher dessus. »
Face à la dégradation de la conjoncture et au risque de récession, l’Autorité anticipe d’éventuelles problématiques de restructurations dans certains secteurs, comme cela a été le cas dans l’habillement, touché par la crise du Covid et l’accélération de la transition numérique. « On ne s’occupe pas des aides d’Etat, mais de même qu’avec les crises récentes, il faudra s’intéresser à la manière dont on sort de ces périodes de soutien à l’économie », a souligné celui qui a présidé, en 2021, le comité de suivi et d’évaluation des mesures de soutien aux entreprises, mis en place par le gouvernement.
« Digital Markets Act »
Parmi les autres priorités de l’Autorité de la concurrence pour les prochains mois et années, Benoît Coeuré a mentionné la mise en oeuvre du « Digital Markets Act » (DMA), cette arme anti-Gafam dont vient de se doter l’Union européenne, qui interdit les pratiques permettant aux géants du numérique d’étouffer la concurrence et de rendre captifs les utilisateurs. « Le dispositif européen cible des pratiques déjà identifiées et ciblées, nous allons nous, au niveau national, nous concentrer sur les pratiques nouvelles. »
Concernant le bilan de l’année 2021 et du début 2022, l’activité a été intense. L’an passé, 272 décisions de contrôle des concentrations et 30 décisions contentieuses ont été rendues. Le montant des amendes a atteint 873 millions d’euros, soit au-dessus de la moyenne sur dix ans. Deux affaires Google (droits voisins et publicité en ligne) ont rapporté en tout 750 millions d’euros. Sur le premier semestre de cette année, les amendes prononcées s’élèvent à 309 millions.
« D’une manière générale, le contrôle des concentrations monte en puissance », a insisté Benoît Coeuré. « On se rend compte que pour éviter des positions dominantes, dans le numérique essentiellement, mieux vaut s’y prendre en amont, au stade des acquisitions et fusions. » Selon lui, ce volet de l’antitrust va se renforcer partout.