Les anciens mineurs de charbon lorrains voient leur préjudice d’anxiété reconnu par la justice

Après avoir porté leur combat pour la première fois aux Prud'hommes en 2013, 727 anciens mineurs lorrains ont obtenu vendredi la reconnaissance de leur préjudice d'anxiété - comme pour les travailleurs de l'amiante - par la Cour d'appel de Douai pour une exposition à de multiples substances toxiques.


C’est la fin d’un marathon judiciaire qui durait depuis sept ans. A la suite d’une décision de la Cour de cassation en date du 11 septembre 2019 prise sur cette affaire, la Cour d’appel de Douai a reconnu ce vendredi un préjudice d’anxiété à 727 mineurs de charbon lorrains ayant été exposés à des substances toxiques. Elle a octroyé à chacun 10.000 euros de réparation, soit un total de 7,27 millions euros, que devra verser l’Agent judiciaire de l’Etat (AJE), intervenant côté employeur à la suite de la liquidation de Charbonnages de France. 

Dans ces décisions (une par salarié), la Cour d’appel juge que l’AJE ne justifie pas qu’aient été prises « toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs ». Dans ce contexte, elle évoque tant pour les mineurs de fond que les mineurs « de jour » une exposition à une longue série de substances nocives en plus de celle à des particules d’amiante : poussières de bois, de charbon et de rochers, fumées de locomotive diesel et émanations de produits et de liquides toxiques générant « un risque élevé de développer une pathologie grave ». Dans un communiqué, les mineurs CFDT, qui avaient porté ce combat en 2013 devant les prud’hommes de Forbach (Moselle) « se félicitent de ce dénouement heureux ».

Déboutés par la cour d’appel de Metz en 2017

Le feuilleton judiciaire avait commencé en 2013, lorsque les quelques 700 mineurs avaient saisi les Prud’hommes. Ceux-ci avaient condamné en 2016 Charbonnages de France pour avoir exposé ses « gueules noires » à des produits dangereux. Mais ces derniers avaient décidé de faire appel, jugeant à la fois la liste des substances évoquées incomplète (poussières nocives et formol) et l’indemnisation de 1.000 euros par salarié insuffisante.

Un an après, la Cour d’appel de Metz les avait déboutés de toutes leurs demandes au motif que leur employeur ne figurait pas parmi les entreprises répertoriées comme représentant un risque élevé d’exposition à l’amiante. C’est ce jugement qui avait été cassé par la Cour de Cassation en septembre 2019, l’affaire étant renvoyé en appel.

Pour les mineurs lorrains, l’anxiété est aggravée par le fait que beaucoup d’entre eux vivent encore dans des cités minières, au contact les uns des autres, et voient leurs voisins tomber malades, frappés par des cancers du rein ou de la peau, des leucémies, des silicoses ou d’autres maladies respiratoires, ont souligné leurs avocats. Lors de l’audience à Douai, une délégation des requérants avait observé une minute de silence, pour 49 camarades décédés, à 68 ans en moyenne, depuis le début de leur parcours judiciaire. Selon la Cour d’appel de Douai, deux travailleurs sont encore décédés depuis.

Une brèche pour d’autres travailleurs

Dans une visioconférence de presse, le porte-parole des anciennes gueules noires de Lorraine, François Dosso, de la CFDT Mineurs, a appelé « tous les salariés exposés à des toxiques » à s’engouffrer dans la brèche ouverte par l’élargissement du préjudice d’anxiété au-delà de l’amiante. « Il faut faire vivre ce droit », a-t-il insisté. 

Un pourvoi en Cassation de  l’AJE semble peu probable : le 11 septembre 2019, la Chambre sociale de la Cour de cassation, statuant sur la plainte des mineurs, a explicitement reconnu le droit, pour tout salarié justifiant « d’une exposition à une substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave et d’un préjudice d’anxiété personnellement subi », d’agir contre son employeur pour manquement de son obligation de sécurité. La boîte de Pandore que redoutaient les employeurs au début de la procédure ne s’est pas ouverte pour autant : dans l’intervalle, le délai de prescription est passé de 30 ans à 5 ans, puis à 2 ans, excluant de facto l’hypothèse d’une avalanche de plaintes.

La reconnaissance du préjudice d’anxiété demeure par ailleurs difficile et hors de portée d’un salarié isolé. Par ailleurs, l’arrêt dit « Air France » du 25 novembre 2015, précise qu’en matière de sécurité au travail,  l’obligation de moyen n’induit pas d’obligation de résultat. L’employeur peut donc s’exonérer de sa responsabilité s’il peut prouver qu’il a mis en place des mesures propres à limiter le risque. Mais la bataille des mineurs de Lorraine remet la prévention au coeur des priorités de l’entreprise.


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