Avant les grandes manoeuvres, l’Etat devrait clarifier ses modalités d’intervention dans les entreprises. C’est le message adressé par la Cour des comptes, dans l’une de ses notes sur l’exécution du budget de l’Etat, récemment publié. Ces recommandations découlent de l’analyse sur les cessions et acquisitions des participations de l’Etat en 2019. Elles trouvent un écho particulier en pleine crise du coronavirus , où l’Etat s’apprête à intervenir dans plusieurs entreprises.
Après Air France et le verrier Arc International, d’autres dossiers sont à venir. A cette fin, l’Etat a débloqué, dans le dernier budget rectificatif, 20 milliards d’euros pour des prises de participation ou des nationalisations d’entreprises en difficulté.
Multiplication des outils d’intervention
Dans ce contexte, la Cour des comptes alerte sur la multiplication des outils d’intervention. Créée en 2004 pour gérer le portefeuille de l’Etat, l’Agence des participations de l’Etat (APE) a depuis été doublée par d’autres outils. BPI France, le plan pour les investissements d’avenir, et plus récemment le fonds pour l’innovation, sont amenés à intervenir en fonds propres dans les entreprises.
« L’apparition depuis 2006 de nouveaux acteurs et instruments […] nécessite de mieux insérer dans le dispositif budgétaire l’ensemble des acteurs qui concourent aux missions de l’Etat actionnaire, alors que l’APE court le risque d’être cantonnée dans la gestion de participations historiques dans une approche essentiellement défensive », souligne la Cour des comptes.
Déresponsabilisation des acteurs
L’APE gère aujourd’hui les participations historiques de l’Etat (EDF, Engie, Renault, Airbus, etc.), tandis que la BPI possède des participations minoritaires, pour la plupart héritées du Fonds stratégique d’investissement créé sous Nicolas Sarkozy. La valorisation du portefeuille coté de l’APE, fortement dépendant de l’automobile, l’aérien et l’énergie, s’est effondrée de près de 40 % depuis le début de l’année. « Une telle juxtaposition de priorités, d’instruments, d’acteurs […] entretient un risque de déresponsabilisation des acteurs », alerte la Cour.
Cette remise à plat se justifie d’autant plus que la mission initiale du compte des participations de l’Etat n’a jamais été remplie. La dernière grande loi organique sur les finances publiques en 2001 avait fixé comme principe que les cessions de l’Etat actionnaire allaient en priorité contribuer au désendettement de la France. Hormis l’année de la vente des autoroutes en 2007, ce compte a très peu financé la réduction de la dette publique : moins de 5 % des recettes y ont été affectées.
Démarrage lent du fonds pour l’innovation
Quant au fonds pour l’innovation voulu par Emmanuel Macron, il aurait encore moins sa justification qu’avant la crise. La Cour des comptes avait dressé il y a un an un constat sévère sur ce fonds qui devait être alimenté par les privatisations de la Française des Jeux et d’Aéroports de Paris, considérant qu’une ligne budgétaire serait plus opportune et moins complexe.
Les événements ont encore renforcé ce jugement. Entre le coup d’arrêt à la privatisation d’ADP et l’absence de dividendes de la part des entreprises dont l’Etat est actionnaire, le fonds pour l’innovation risque de ne pas avoir les moyens suffisants.
La Cour note le démarrage très lent de ce fonds : moins de 8 millions d’euros ont été engagés dans des projets nouveaux, loin des 240 millions envisagés initialement. « L’objectif recherché de « sanctuarisation » des crédits disponibles ne semble pas mieux atteint qu’à travers une inscription au budget général », considère-t-elle.