Réchauffement climatique: pourra-t-on encore skier en Europe en 2050?

Les sports d'hiver occupent une place centrale dans l'économie de nombreuses régions de montagne à travers l'Europe. Comment font-elles face au changement climatique et quelles sont leurs marges de manœuvre?


Ces derniers mois, la raison d’être des sports d’hiver a semblé plus que jamais menacée par diverses polémiques. Que ce soit avec l’occupation par des activistes du glacier de la Girose, situé dans le massif des Écrins (Hautes-Alpes et Isère), pour dénoncer les projets d’aménagement d’un nouveau téléphérique; ou bien la remise en cause de l’organisation des événements sportifs en avant-saison, comme la très controversée descente italo-suisse de Zermatt-Cervinia de la Coupe du monde de ski alpin à la mi-novembre, rendue possible grâce à la destruction partielle du glacier Théodule, en Suisse. Derrière ces actions militantes une même question: quel avenir pour le ski dans une planète en surchauffe?

Si, ces dernières décennies, la France a pu voir certaines stations de ski fermer faute de neige ou de modèle économique pérenne, la plupart des stations espèrent plutôt s’adapter face à la hausse des températures. Mais la reproduction des recettes qui ont fait leurs preuves par le passé permettra-t-elle de faire face aux défis soulevés par le réchauffement du climat?

À travers l’étude inédite de 2.234 stations de sports d’hiver en Europe publiée en août 2023 dans la revue scientifique Nature Climate Change, nous avons tâché de mesurer les impacts du réchauffement climatique sur l’enneigement des stations, et les marges de manœuvre possible dont peuvent disposer ces stations pour s’adapter.

Cette question ne répond pas seulement à une préoccupation de skieurs amateurs ou professionnels. Le ski est également un enjeu économique, avec un chiffre d’affaires total estimé à 30 milliards d’euros en Europe et 120.000 emplois dépendant directement et indirectement de l’économie du ski rien qu’en France.

Les stations de sports d’hiver étudiées sont réparties inégalement dans dix-huit massifs de montagne offrant des contextes climatiques et géographiques variés à travers l’Europe. | Adapté de François et coll., 2023 / document fourni par les auteurs

À +2°C de réchauffement, 53% des stations manqueront de neige

Phénomène planétaire, le changement climatique n’épargne de fait aucune station, mais tous les massifs de montagne ne sont pas touchés avec la même intensité ni avec la même vitesse. Et les capacités pour limiter les impacts de ces changements par la production de neige sont également très contrastées. Nous avons estimé les conséquences du changement climatique sur les stations de sport d’hiver en fonction des niveaux possibles de réchauffement planétaire, en utilisant pour cela la représentation graphique, couramment utilisée dans les rapports du GIEC, des «burning embers».

À +2°C de réchauffement planétaire par rapport à la période de référence 1850-1900, c’est-à-dire le niveau de réchauffement attendu et espéré pour le milieu du XXIe siècle, 53% des stations à l’échelle européenne sont concernées par un risque très élevé de faible enneigement, sans production de neige. Nous évaluons le risque de faible enneigement en fonction de la fréquence de conditions d’enneigement considérées comme les plus défavorables, celles rencontrées en moyenne une saison sur cinq entre 1961 et 1990, âge d’or du développement des stations de ski. Un «très haut niveau de risque» correspond au retour de ces conditions défavorables une saison sur deux.

Évolution du risque de faible enneigement et du besoin en eau pour la production de neige, auxquels les stations de sports d’hiver seront confrontées en fonction du niveau de réchauffement climatique planétaire. | Adapté de François et coll., 2023 / document fourni par les auteurs

On note cependant des déclinaisons contrastées à l’échelle nationale. Dans les Alpes françaises, cette proportion concerne un tiers des stations. Alors que dans les Pyrénées et dans les massifs de moyenne montagne franco-suisses, respectivement 89% et 80% des stations sont concernées par un très haut niveau de risque de faible enneigement.

À +4°C de réchauffement planétaire, ce sont 98% des stations européennes qui sont concernées par un très fort risque de faible enneigement, sans production de neige. Avec un tel niveau de réchauffement, le climat laisse peu de marges d’adaptation aux stations de sports d’hiver.

Évolution de l’utilisation de la production de neige

Aujourd’hui, pour s’adapter à la tendance de la diminution de l’enneigement, une des solutions les plus mises en avant est la production de neige, qualifiée par certains de «neige de culture» et par d’autres de «neige artificielle». La production de neige consiste à projeter des micro-gouttelettes d’eau dans l’atmosphère, afin qu’elles congèlent avant de retomber au sol. La neige ainsi obtenue, constituée de petites billes de glace, est un matériau propice à la confection d’une sous-couche.

Par le passé, la production de neige était surtout vouée à limiter l’impact des fluctuations naturelles de l’enneigement d’une saison à l’autre. La neige est aujourd’hui majoritairement produite en avant-saison, sans connaissance des conditions météorologiques de l’hiver à venir. Puis elle l’est de manière plus ponctuelle si nécessaire entre les vacances de Noël et d’hiver, cruciales pour l’activité économique, ainsi que pour assurer l’ouverture du domaine skiable jusqu’en fin de saison.

Vue de la station La Plagne – Montchavin – Les Coches (Savoie). | Lucas Berard Chenu / document fourni par les auteurs

La production de neige également touchée par la hausse des températures

Comme l’enneigement naturel, la production de neige est touchée par l’augmentation des températures, car elle requiert des conditions météorologiques suffisamment froides. Cette double pression conduit à des investissements croissants pour garantir la possibilité de produire de la neige dans des proportions suffisantes, augmentant par là même la dépendance des stations de montagne au tourisme de neige.

Le risque associé à cette dynamique est celui de la maladaptation, c’est-à-dire une solution d’adaptation répondant à court terme à des problèmes amplifiés par le changement climatique, mais entraînant une vulnérabilité structurellement accrue à l’aléa.

Pour le tourisme de ski, cela correspond à une situation dans laquelle le poids économique des investissements consentis se heurte à la récurrence des conditions d’exploitation défavorables, qui ne permettent pas, à terme, de supporter l’outil de production. À terme, le danger est de conduire jusqu’à un point de rupture, l’effondrement de l’économie des sports d’hiver se répercutant sur la dynamique locale de développement.

Des capacités d’adaptation inégales par la production de neige

Si les stations sont inégalement touchées par le changement climatique, elles sont également plus ou moins capables de s’adapter à la hausse des températures en produisant de la neige. À +2°C de réchauffement planétaire, la production de neige, si elle est mise en œuvre sur 50% de la surface des pistes, permet de réduire à 7% et 9% la part des stations exposées à un très haut niveau de risque de faible enneigement, dans les Alpes et les Pyrénées, alors que dans les massifs de moyenne montagne cette proportion est de 56%. Ces différences sont encore plus marquées à des niveaux de réchauffements plus élevés.

Toutefois, il faut rappeler ici que si le niveau d’enneigement est déterminant pour la viabilité socio-économique d’une station de sports d’hiver, il ne constitue pas une garantie à lui tout seul de la pérennité d’une station. D’autres critères déterminants existent comme l’état du parc de remontées mécaniques, les modalités de promotion/commercialisation, ou la capacité d’hébergement et leur attractivité. On ne peut donc pas conclure directement de chiffres caractérisant un effet du risque de faible enneigement sur la proportion ou le nombre de stations susceptibles de cesser leurs activités de ski.

Par ailleurs, si la production de neige a un impact positif substantiel sur l’amélioration des conditions d’exploitation des domaines skiables, cela n’en fait pas pour autant une solution générique, applicable de la même manière, quel que soit le domaine skiable. Notre étude montre également que le gain marginal des surfaces couvertes par des installations de production de neige n’est pas toujours à la hauteur des attentes.

Au-delà de 50% de surface couverte, l’efficacité des moyens de productions supplémentaires apparaît souvent moindre que le bénéfice des premiers investissements. Et les velléités d’équipement doivent être regardées avec encore plus d’attention, notamment par rapport aux coûts que cela implique. Qu’ils soient économiques pour l’exploitant, mais également environnementaux, à la fois au regard des pressions sur les écosystèmes, des besoins en eau et en électricité, mais aussi en fonction des choix d’allocation des ressources et de l’adaptation d’autres activités que celle du domaine skiable.

Dynamique du risque de faible enneigement: évolution du climat, capacité de réponse des stations de sports d’hiver et contribution du tourisme aux émissions de gaz à effet de serre. | Adapté de François et coll., 2023 / fourni par les auteurs

L’empreinte carbone de la production de neige

De plus, la production de neige n’est pas vierge d’émissions carbone, composantes qu’il faut donc avoir en tête avant d’ériger cette technique comme la réponse ultime à la réduction de l’enneigement.

Nous avons donc calculé également les besoins en eau nécessaires, la production de la demande énergétique qu’elle implique, l’empreinte carbone de l’électricité utilisée pour la production de neige. Sur la période de référence (1961-1990), la quantité totale de neige produite sur les pistes couvertes par les installations représente 13% des précipitations totales qui tombent annuellement sur ces mêmes pistes. Considérant une couverture des pistes par des équipements de production à hauteur de 50%, le volume total devrait connaître une croissance de 8% à 25%, en fonction des pays, pour un réchauffement de +2°C, davantage pour un réchauffement plus marqué.

En outre, cette demande a tendance à se décaler dans le temps avec une moindre production en novembre, due à la diminution des fenêtres de froid favorables à la production en début d’hiver. Ainsi, il est probable que les services rendus par la production de neige ne soient pas les mêmes que par le passé, ce qui risque de fragiliser d’autant plus l’enneigement pendant les fêtes de fin d’année.

Dans tous les cas, le volume total d’eau potentiellement mobilisé demeure modéré et une grande partie de cette eau est restituée aux cours d’eau au moment de la fonte. Pour autant, cela ne préjuge pas de situations délicates à l’échelle locale, en fonction des usages (y compris les besoins des écosystèmes) et des modalités de prélèvement de la ressource et de l’évolution de l’hydrologie de montagne, en lien avec le changement climatique et l’évolution de la contribution de la cryosphère.

Enneigeur (ou canon à neige) à Pralognan-la-Vanoise (Savoie). | Lucas Berard Chenu / document fourni par les auteurs

De manière similaire, l’empreinte carbone de l’électricité utilisée pour la production de neige, de l’ordre de 80 kilotonnes équivalent CO2 et avec une croissance comparable à celle du besoin en eau en fonction du réchauffement, reste limitée. Même si elle varie beaucoup en fonction du mix énergétique des différents pays. Par exemple, la Norvège, avec une hausse de +30% des émissions de gaz à effet de serre à +2°C, conserve une des empreintes carbone les plus faibles tous climats confondus, au regard de l’intensité carbone des mix énergétiques actuels.

Le transport et le logement des skieurs restent fortement émetteurs de CO2

Néanmoins, il n’est pas possible de détacher la production de neige de l’activité touristique qui la justifie, même si elle n’est responsable intrinsèquement que de quelques pourcents de l’empreinte carbone d’une destination touristique de sports d’hiver, dominée par le transport et le logement des skieurs. Dans sa globalité, le secteur touristique représente 11% des émissions de gaz à effet de serre au niveau national (contre 8% au niveau mondial).

Dès lors, dans un contexte de changement climatique, cela pose la question de l’évolution des mobilités face à la raréfaction des sites skiables et à la nécessité d’assurer le fonctionnement des domaines skiables, dont la gestion est rendue de plus en plus complexe et critique au regard de la dégradation des conditions naturelles d’enneigement.

Le risque associé est bien celui de l’accroissement des émissions carbone du tourisme de ski, en justifiant des déplacements de plus en plus lointains. Mais cela est-il bien compatible avec l’avenir de cette activité et le développement économique et social de zones de montagne particulièrement vulnérables à l’érosion de la biodiversité et au réchauffement de la planète? Notre étude montre le besoin d’articuler adaptation et décarbonation dans le secteur touristique, sans se focaliser exclusivement sur une seule des dimensions de ce défi majeur.


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