La réforme de l’Etat est « essentielle pour préparer l’avenir » car « l’Etat peut s’effondrer » comme « cela est arrivé en 1940 », a lancé, grave, Edouard Philippe. Prise de conscience après les graves ratés de la gestion de la crise du Covid-19 ? Pas réellement, les mots du Premier ministre datent d’octobre 2018 et montrent à quel point le gouvernement tourne autour du problème depuis longtemps sans réussir pour le moment à le traiter. Emmanuel Macron est pourtant décidé à relancer le chantier, et à en faire un de ses axes de reconquête après la crise du coronavirus . En privé, il dénonce ces derniers jours « l’Etat bedonnant et malvoyant », assurant vouloir « réduire l’Etat central » et « redonner du muscle à l’Etat local ».
Cette perspective est guettée avec attention par la Macronie historique, qui y voit une façon de renouer avec le récit politique initial du chef de l’Etat. La République En marche a confié à Thomas Cazenave – ancien directeur adjoint de cabinet d’Emmanuel Macron à Bercy et surtout ex-délégué interministériel à la transformation publique – une mission de réflexion sur la réforme de l’Etat avec des conclusions attendues fin juin.
Sylvain Fort, l’ancienne plume du président, s’est emporté ce lundi contre « une administration qui n’hésite pas à jouer contre l’Etat ». « Il faut que la part centralisatrice et verticale que l’on a eue depuis le début du quinquennat le cède maintenant à quelque chose qui serait plus proche des promesses de la campagne (présidentielle), plus proche du terrain et plus horizontal », a-t-il expliqué sur Europe 1.
Bilan insuffisant
Ces sorties illustrent en creux les manques du bilan actuel en la matière. A l’automne 2017, Edouard Philippe avait installé une commission d’experts, avec un joli acronyme (CAP 2022) comme il y avait eu la MAP sous François Hollande ou la RGPP sous Nicolas Sarkozy. La publication du rapport avait été escamotée à l’été 2018 par peur des remous, même si l’exécutif avait assuré par la suite avoir repris 75 % des propositions (réforme de l’audiovisuel, cure d’amaigrissement du fisc, nouvelle carte des académies de l’Education nationale, etc.).
Après le Grand débat national, une tentative de relance avait été initiée, avec l’objectif de rendre notamment « l’organisation administrative plus simple et plus réactive » et « les administrations plus proches et plus accessibles », pour reprendre les intitulés du dernier Comité interministériel de la transformation publique tenu en novembre dernier. En guise de mesures phares, il avait été annoncé le transfert de 6.000 agents hors de Paris (mais en partie en Ile-de-France), la suppression d’environ 170 commissions consultatives ou autres structures para-étatiques et l’accélération du déploiement des Maisons France Services en régions. « Le bilan est insuffisant. Il faudrait arrêter d’ajuster à la marge, comme Emmanuel Macron le proclamait en 2017 », estime un ancien de la campagne.
Transferts massifs
Comment faire ? En privé, Emmanuel Macron parle d’un « blast pour arriver massivement à transférer des gens » des administrations centrales en régions . « Il faut que cela concerne des dizaines de milliers de personnes », renchérit un proche du dossier. La façon dont le déconfinement a été géré, avec beaucoup de responsabilités laissées aux services locaux de l’Etat, est présentée comme une recette à reproduire pour la suite. « Ce qui s’est passé pour la réouverture des plages est caricatural de ce point de vue. Dès que l’on a redonné la main aux préfets en lien avec les maires, tout s’est passé plus sereinement », note le proche du dossier.
Emmanuel Macron semble aussi décidé à lier cette relance de la réforme de l’Etat à une nouvelle étape de décentralisation. L’idée n’est pas neuve au sein de la Macronie, et avait déjà été poussée après le Grand débat national. La question de l’enchevêtrement des compétences – en matière notamment de logement ou de politique sociale – revient régulièrement dans cette perspective. D’autres poussent également à une révolution culturelle au sein de la haute fonction publique et du management pour accompagner ces changements, avec la remise en cause de leur formation.
Pas de consensus
Il reste à voir si ce sujet fait réellement consensus au sein de la majorité. « De telles réformes nécessitent un portage politique important », reconnaît le proche du dossier, manière de dire que cela n’a pas toujours été le cas jusque là. On se souvient qu’Edouard Philippe n’avait, par exemple, pas montré d’enthousiasme excessif pour la très emblématique réforme de l’ENA , aujourd’hui au point mort. De fait, le sujet fait tousser certains des ralliés les plus récents au macronisme : « Les commentaires sur la réforme de l’Etat sont vieux comme l’Etat. Et de toute façon il est impossible de faire quoi que ce soit de significatif dans le temps utile qui nous reste », estime un membre du gouvernement.