Emmanuel Macron avait ouvert mardi la porte à un report de la suppression de la taxe d’habitation pour les 20 % de Français les plus aisés qui la payent encore. Un geste qu’il avait estimé comme « légitime en période de crise », dans un « moment exceptionnel ». Mais le chef de l’Etat, sur cette question fiscale toujours ultra-sensible, avait alors dit qu’il laissait la main au gouvernement. Et le gouvernement a tranché. Ce vendredi soir, interrogé lors du « 20 Heures » de France 2, le Premier ministre, Jean Castex, a assuré que le rythme de suppression de la taxe d’habitation pour ces 20 % des ménages les plus aisés était « maintenu ».
« La taxe d’habitation, c’est un impôt qui baisse. La question a pu être évoquée de savoir si on décalait un peu le rythme » de la baisse, a-t-il ajouté. « A ce jour […] on va continuer sur le même rythme, donc la suppression de la taxe d’habitation, suivant le calendrier (prévu), sera maintenue ». Mais « là encore, nous nous adapterons en fonction de l’évolution de la conjoncture », a-t-il précisé. « Nous ne pensons pas que le recours à l’arme fiscale soit un bon outil pour gérer la crise, qu’augmenter les impôts soit une bonne formule », a justifié le chef du gouvernement.
Augmenter les impôts n'est pas une bonne réponse à la crise. pic.twitter.com/TsQ7yKM77D
— Jean Castex (@JeanCASTEX) July 17, 2020
Question politiquement ultra-délicate
Alors que dès cette année, 80 % des Français ne payeront plus de taxe d’habitation, il était prévu que les 20 % restant voient la suppression s’étaler en trois ans, entre 2021 et 2023. C’est donc cette dernière étape – dont le coût est estimé à 7 milliards d’euros – qui était en danger. Mais renoncer à cette mesure, posait plusieurs problèmes. D’ordre constitutionnel d’abord : Emmanuel Macron avait promis, durant sa campagne présidentielle, la suppression de la taxe d’habitation pour les 80 % des Français les plus modestes, et n’avait étendu la mesure aux autres 20 % que sous la pression du Conseil constitutionnel. Celui-ci jugeait la part des ménages taxés trop étroite. Et il était donc difficilement envisageable d’envisager son report pour plus d’une année.
Surtout, la question était politiquement ultra-délicate. La frontière pour entrer dans cette part des 20 % des Français les plus aisés débute pour un célibataire au seuil de 2.500 euros de revenus. Difficile, à ce niveau, de parler de « riches ». Et puis, ces 20 % de ménages les plus aisés sont aussi une part importante de l’électorat d’Emmanuel Macron en 2017. Ce dernier est par ailleurs très attaché à la stabilité fiscale et ses proches redoutaient de voir le report de la suppression interprété par cet électorat comme une hausse des impôts, contraire à la promesse présidentielle.
« J’entends ce que vous me dites »
Le Premier ministre avait d’ailleurs déjà commencé, sur cette option ouverte par le président de la République – qui a surpris jusque parmi des poids lourds du gouvernement – un virage sur l’aile de l’abandon. « J’entends ce que vous me dites sur les classes moyennes », a répondu Jean Castex dans « Le Parisien », à un lecteur qui l’interpellait sur le fait que les classes moyennes étaient visées.
Prudent, le Premier ministre n’avait même pas cité le sujet dans sa déclaration de politique générale . Et sommés par les oppositions de sortir de l’ambiguïté lors des questions d’actualité au gouvernement cette semaine, les ministres sont apparus à la peine pour répondre, multipliant les « peut-être », « nous verrons », « ce n’est pas tranché » et martelant que la taxe d’habitation serait bien « supprimée ».
Le ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance, Bruno Le Maire, avait pour sa part évoqué plusieurs scénarios possibles, tout en assurant que la taxe d’habitation serait, quoi qu’il arrive, supprimée à terme. « Est-ce qu’on prend un peu plus de temps ? C’est une première question. Est-ce qu’on sépare ces 20 % des 5 % qui sont vraiment les plus riches, à qui on demandera un effort supplémentaire ? C’est une deuxième option », s’est interrogé le ministre de l’Economie.
« Les riches paient déjà plus que les autres »
« Il y avait plusieurs options, décaler d’un an ou deux, de ne rien faire en 2020 mais tout en 2023, ou encore de toucher uniquement les 5 % les plus riches. Mais tout cela apportait de la confusion, finalement la mesure concerne beaucoup de classes moyennes pour un gain pas si important que ça, reconnaît un conseiller de l’exécutif. Donc, on reste au même rythme. » Et puis, souligne le même, « les riches paient déjà plus que les autres, il y a l’impôt sur la fortune immobilière et, on l’oublie souvent, la surtaxe sur l’impôt sur le revenu. »
Bref, il a été décidé urgent de renoncer et d’éteindre immédiatement le début d’incendie. Le gain budgétaire, dans ce moment où les milliards semblent se multiplier comme les petits pains, a été jugé beaucoup moins important que la perte politique dans cette affaire.