Il ne faudra pas attendre longtemps pour mesurer la portée du changement. Alors que l’examen du projet de loi sur le pouvoir d’achat se profile, la très stratégique commission des Finances de l’Assemblée nationale s’est dotée ce jeudi de deux têtes de pont que tout oppose. Les députés ont finalement élu Eric Coquerel (LFI) à la présidence de cette commission, tandis que Jean-René Cazeneuve (Renaissance) a obtenu le poste de rapporteur général du Budget.
L’élection du parlementaire Insoumis – qui portait pour une fois une cravate – n’est pas une surprise au vu du rapport de force numérique dans la commission. Elle a pourtant donné lieu à un certain suspense : le règlement de l’Assemblée stipule que la présidence doit revenir à l’opposition, LFI et le RN (par le biais du député Jean-Philippe Tanguy) se sont donc disputé âprement le poste.
Nombreux conciliabules
Après deux premiers tours infructueux, trois interruptions de séance réclamées par LR et le RN ont donné lieu à de nombreux conciliabules. Le parti d’extrême droite ne voulait pas abandonner le poste, mais était prêt à envisager une présidence tournante pour rallier à lui la droite contre la Nupes. Les députés LR ont toutefois refusé l’arrangement et maintenu leur candidate, Véronique Louwagie.
Au troisième tour, celle-ci a obtenu 9 voix contre 11 à Jean-Philippe Tanguy, et surtout 21 à Eric Coquerel, finalement élu. Le tout sans que la majorité ne participe aux scrutins, plusieurs de ses membres ayant même quitté la salle pour rester éloigné au maximum de cette élection où il y avait beaucoup de coups (politiques) à prendre. « La majorité présidentielle aurait très bien pu participer au scrutin. Elle a préféré faire le choix de faire élire Eric Coquerel, à elle de l’assumer », dénonce Marie-Christine Dalloz, députée LR du Jura et membre de la commission.
Doutes sur sa capacité à rassembler
Aussitôt désigné, le représentant de la Nupes a assuré devant ses collègues comme devant la presse « qu’il serait le président de toute la commission des Finances ». « Eric Coquerel a été un député très actif pendant le quinquennat précédent. Mais sur son potentiel de rassemblement, je n’ai pas de certitude », répond dans un euphémisme Marie-Christine Dalloz.
Au gouvernement, cette nouvelle configuration de la commission des Finances, alors que la contrainte budgétaire devient plus forte, inquiète. Le député LFI a prévenu ce jeudi que son appartenance à LFI « aura des implications sur la façon dont [il] va porter son mandat », laissant augurer de vives passes d’armes. « Ça va être compliqué, même si on peut toujours espérer que la fonction fasse l’homme », souligne un ministre.
« Eric Coquerel a de la personnalité, et il sera sans doute moins proche du pouvoir que ne l’était son prédécesseur E ric Woerth [depuis rallié à la majorité présidentielle , NDLR]. Mais cela n’empêchera pas un travail parlementaire en bonne intelligence », répond Christine Pires Beaune, députée PS du Puy-de-Dôme.
Pur macroniste
A l’autre poste stratégique de la commission des Finances, la majorité a donc porté Jean-René Cazeneuve au poste de rapporteur général du Budget, qui aura donc la haute main sur les projets de loi de Finances. Un profil bien différent de celui d’Eric Coquerel, ancien adhérent de la LCR et proche de Jean-Luc Mélenchon depuis 2008 : le député du Gers est, pour sa part, un représentant typique de la vague de nouveaux élus arrivés au Palais-Bourbon en 2017 dans le sillage d’Emmanuel Macron, avec un passé d’ancien cadre dirigeant du secteur privé (chez Apple et Bouygues Telecom notamment).
Le député s’était ensuite fait remarquer durant le dernier quinquennat par son travail sur les collectivités locales. Un ancrage solide à la Macronie, renforcé par ses enfants, Pierre (ancien adjoint au chef de cabinet du président de la République) et Marguerite (elle aussi ancienne de l’Elysée). « Il n’aura pas la même personnalité que Valérie Rabault, qui n’a pas hésité à ce poste à s’opposer à François Hollande en 2012-2017 », juge Christine Pires Beaune.